La troisième journée (lundi) commence avec la bienvenue de quelques Grenoblois. Les Français commencent à avoir leur petit coin où ils se regroupent. Le tirage n’est pas affiché en avance, mais pile à 10 h. Philippe nous montre que si on choisit l’allemand comme langue sur le site du congrès (https://www.egc2023.de/) on peut aussi afficher le tirage en ligne.
Après ma victoire d’hier je joue aujourd’hui dans un autre bâtiment. Mon adversaire est un 1er dan japonais. Je monte l’escalier, c’est au 3e quand même, et je me mets à ma table (107). Je suis un des premiers bien sur (ponctualité) et j’attends mon adversaire. Avec inquiétude, je constate que je n’ai pas seulement changé de bâtiment, mais aussi de catégorie. Ici les pendules sont préréglées à 1 h 20 avec un gain de 40 secondes par coup. Oui, je suis dans une salle des joueurs en dan ! Je n’ai pas fait le calcul mais j’ai peur que la partie dure jusqu’à minuit, et tout ça sans manger.
Il arrive : c’est un monsieur encore bien plus âgé que moi. Il enlève son chapeau pour mettre en évidence sa coiffure qui fait honneur à Cho Chikun. Bien sur, il est bien poli comme tous les Japonais, mais il a aussi tendance de faire des petits bruits pour commenter mes coups (poliment bien sur). L’arbitre qui circule sur l’étage lui fait plusieurs fois la remarque de rester silencieux. Moi, je me suis vite habitué, ça ne me dérangeait pas. Après 10 coups, je prends malheureusement conscience qu’il connaît quand même le go dit moderne et qu’il mérite bien son rang… Mais on joue plus vite qu’hier, ce qui m’arrange. La partie suit son cours. Aucun de nous deux n’arrive vraiment à prendre de l’avance. (A posteriori, l’analyse m’a montré que la différence de territoire restait toujours à moins de 10 points.) A la fin, alors qu’il ne reste que 2 ou 3 coups banals de yose, mon adversaire se met à compter, ce qui prend un certain temps. Je recompte aussi, comme je le fais assez souvent pendant la partie. A un moment j’ai l’impression qu’il dit « merde » en japonais… sauf que je ne comprends malheureusement pas le japonais. J’obtiens le même résultat, c’est-à-dire que je mène de 1,5. On joue les derniers points, puis les dame. A la fin de la partie il déclare que j’ai gagné de 1,5, ce qui, après vérification, était correct. C’est un komi japonais de 6,5 (ça y est, on l’a trouvé dans le livret du tournoi), sans pierre de passe et on s’en fout qui a joué le dernier coup. Donc même résultat que la veille, mais avec les couleurs inversées.
Au déjeuner, je mange un petit pain (rien avoir avec une baguette) au hareng et un crumble aux pommes.
Je tente avec un peu de retard d’accéder au cours donné par In-seong, mais la salle était déjà pleine à craquer. Je révise donc ma partie à la place.
A 16 h il y a le cours de Xié Hé, 9 dan, qui, comme nous a raconté le traducteur, était le meilleur joueur chinois il y a un peu plus de 15 ans. Il nous a montré son chef d’œuvre, une partie qu’il a joué en 2006. Il était alors numéro 1 chinois, mais Lee Se-dol, son adversaire, avait déjà gagné sept tournois internationaux à l’époque. A un an près les deux joueurs avaient le même age. Bon, Xié Hé nous montrait sa partie, mais ils ne connaissaient pas Alpha-Go, les pauvres. Eh bien, après l’ouverture, la partie est devenue quand même assez complexe, trop pour nous pauvres spectateurs. C’est étonnant à quel point elle semblait d’abord bonne pour l’un, puis bonne pour l’autre, et à la fin on croit que tout est mort ! Mais la situation s’arrange tout à coup miraculeusement pour l’un des deux, dans ce cas, bien sur, pour Xié Hé. Drôle aussi qu’un 9 dan célèbre attire moins de spectateurs qu’In-seong qui n’est qu’un pauv’ 8 dan non-pro.
Ensuite je fais relire par Louise mon blog de la veille pour qu’il ressemble à du français. Et Dominique passe pour dire bonjour. Elle est arrivée avec Toru la veille après 14 heures de route depuis Grenoble. Ils sont fous ces Français(es) !
Le soir à 18 h, il y a encore un deuxième exposé (« Key Note Lecture ») par Xié Hé. Cette fois on se retrouve dans la grande salle : il y avait beaucoup plus de monde. Xié Hé a choisi comme sujet « Ordinary Mind », qu’on peut traduire, peut-être, par contrôle d’esprit et sérénité. Au départ je ne m’attends pas à grand-chose, mais son exposé a été vachement intéressant. La traduction a été cette fois assurée par le célèbre Stephen Hu, animateur de Go sur Twitch, etc. Vous le connaissez peut-être, c’est le type qui a toujours un grand sourire et toujours une cravate. Sans exception. Il n’y a qu’un seul joueur comme ça dans le monde du go. Et il parle beaucoup.
Comme déjà dit, l’exposé de Xié est très intéressant, il porte plutôt sur la philosophie et l’attitude à avoir en compétition de Go : réussir ses tournois en évitant, justement, de mettre le succès en avant. Je regrette de ne pas avoir pris ses diapos en photos. Du coup je ne résume que les points principaux :
- Ne sois pas gourmand.
- Ne pas penser à gagner ou à perdre.
- Ne pas sous-estimer l’adversaire.
- Ne pas avoir peur de l’adversaire.
« Ne sois pas gourmand » est, d’après Xié, le titre de l’autobiographie de Lee Chang-ho. En 2003, quand Xié avait 19 ans, il a eu la chance de rencontrer Lee, qui était son idole. Il nous a montré une partie comme illustration de ces maximes, qui lui ont permis, avec un peu de chance aussi, de la gagner. C’était un peu comme moi ce matin, me suis-je dit.
Entretemps il commence à pleuvoir. Je vais voir au gymnase le tournoi féminin : la deuxième ronde (sur trois) était en train de se terminer. Avant la troisième ronde, et comme le food truck avait déjà fermé, je profite de l’arrêt de la pluie pour rentrer chez moi. Après avoir posé mes affaires je suis ressorti aussitôt pour trouver quelque chose à manger. Le congrès a lieu à Markkleeberg, une petite ville de banlieue à 8 km du centre de Leipzig. C’est très joli, et spacieux. Des maisons fin 19e partout. C’est très calme aussi, un choc auditif pour quelqu’un qui vit en région parisienne. Mais… c’est mort, aussi ! Quelques fast-foods ouverts, mais tous les restos (3 ou 4) sont fermés le lundi soir. Et de toute manière il faut se dépêcher, car à 21 h même les fast-food ferment. J’espère qu’à Leipzig même ça va être un peu plus animé !