Comprendre la fin de partie (1/5)
Cette série d'articles a pour but de combler une des graves lacunes de la majorité des joueurs : la fin de partie.
L'étude du yose est en effet universellement et injustement négligée par toutes les catégories de joueurs, du débutant au joueur " fort ".
Le refus d'étudier le yose est compréhensible : le débutant se sent en général perdu, en fin de partie, au milieu de cet océan hétéroclite et hostile ; n'ayant pas de point de référence, n'ayant pas encore appris à compter une partie, toutes les situations lui semblent nouvelles et il a en général fort à faire avec la survie de ses groupes, qui lui mobilise la majeure partie de son influx nerveux. Le joueur " fort " a, lui, une pratique et une intuition suffisante pour éviter de commettre de grosses erreurs, et préfère l'étude du milieu de partie qui est souvent décisif. Quant au joueur de force moyenne, les parties n'allant généralement pas à leur terme, ou se terminant par un écart important, il ne voit pas bien l'intérêt de l'étude du yose.
Et pourtant ! Combien de fois n'entend-on pas dire au cours d'un tournoi (quelquefois de la part de votre serviteur) : " J'avais de l'avance et j'ai bêtement perdu dans le yose " (sous-entendu, il n'a pas voulu abandonner, le traître ...).
Que cette affirmation ait ou non quelque valeur n'a pas d'importance : elle permet de montrer de toute façon le paradoxe du joueur de go : il admet qu'il a perdu à cause du yose, mais la fois suivante, plutôt que d'y réfléchir, il préférera essayer, en forçant la décision, de s’assurer un avantage encore plus grand en milieu de partie. Affligeant !
L'incapacité moyenne du joueur de go à accepter (quelle honte !) de devoir supporter la fin de partie en totalité afin de concrétiser son avance est souvent liée au peu de confiance qu'il accorde à sa façon de la jouer, et rejaillit de façon déplorable sur son jeu de milieu de partie : toujours plus !
Faisons une petite expérience : qu'appelle-t-on une partie " largement gagnée " ? Disons de quinze à vingt points. Dans une fin de partie normale, on peut compter en général au moins quatre à cinq gros coups de yose (quinze points et plus), une petite dizaine de coups de taille moyenne (de l'ordre de dix points) et une quinzaine de petits coups (cinq points et moins).
Or il est facile, sans étude sérieuse du yose, de se tromper de deux points sur des coups gros ou moyens, et de un point ou un demi-point sur un petit coup de yose. Faites le compte : même en jouant correctement la moitié des coups, on peut très facilement perdre dans le yose plus de quinze points. Maintenant, serez-vous toujours aussi sûr de gagner, après avoir mené " largement " dans le milieu de partie ?
Le yose est un art difficile à pratiquer parfaitement, mais quelques principes relativement simples permettent de s'orienter dans le labyrinthe des coups possibles et de réduire de façon spectaculaire ce déficit de quinze points. Chaque article de cette série sera centré sur un thème, et ce thème sera abordé à deux niveaux, moyen (10-8e kyu) et fort (2-3e kyu), sans aucune prétention de rigueur pédagogique, n'importe qui pouvant (et y étant même vigoureusement encouragé) lire tout ce qu'il veut. La partie de niveau plus élevé sera une prolongation de ce qui est dit dans la partie de niveau moyen.
Thème: le compte ( 1 )
Niveau moyen
Pour pouvoir jouer correctement le yose, il est impératif de connaître au moins quelques principes de base pour compter les points (le "score") lorsque la partie n'est pas encore terminée. Prenons un exemple simple :
![]() Diagramme 1 |
Combien de points noir a-t-il dans le coin ? Deux points déjà formés, plus un point éventuel en "A". L'intuition nous dit qu'on peut évaluer les points noirs à 2 ½ ce que confirme un raisonnement évident : modifions le dia.1 de la façon suivante ... |
|
Cette fois, il est quasiment évident que noir doit se compter trois points. |
|
À n'importe quel moment, si blanc joue 1, noir peut répondre 2 immédiatement et récupérer ses trois points, sans rien changer au déroulement de la partie. Réciproquement, si noir joue 2, blanc peut répondre 1 immédiatement s'il le désire (bien entendu, si par exemple blanc joue 1 trop tôt, alors qu'il reste encore des coups plus gros que 2 ailleurs, le nombre de points noirs pourra descendre à deux, mais au prix d'une perte supérieure ailleurs). |
|
Ici, il semblerait qu'on puisse évaluer les points noirs à trois et demi (trois dans le coin, plus ½ en "A"). Il n'en est rien ! À presque n'importe quel moment, blanc pourra jouer B ensente (menaçant de tuer noir), forçant noir à répondre en C, puis continuer le cours normal de la partie. Noir, lui, n'a pas ce loisir s'il désire jouer B à la place de blanc. |
|
On peut déjà tirer plusieurs enseignements de ce petit exemple. Le premier est que la valeur d'un coup et le nombre de points estimés dans une région ne dépendent pas seulement de la position purement locale : on a vu que dans le dia.6 noir pouvait avoir ½ point ou zéro en 'A' selon la position exacte du groupe noir qui s'y rattache: Le second - qui en découle immédiatement - est qu'il est visiblement préférable d'avoir des positions solides et sûres, même dans le yose. |
![]() Diagramme 6 |
En effet si noir ne s’était pas laissé enfermer comme dans le dia.4 mais avait réussi à se connecter à l'extérieur avec un groupe vivant comme dans le dia.7 le nombre de points (indépendamment des points extérieurs) dans le même espace passe de 2 à 3 ½ ! |
![]() Diagramme 7 |
Dans le dia.7, le raisonnement fallacieux du dia.4 devient pertinent. Il est extrêmement important de comprendre que les bénéfices d'un jeu solide se touchent tard. Le troisième enseignement est que les considérations du type sente / gote et l'état du point de vue vie et mort des groupes sont d'une importance cruciale pour le décompte des points dans le yose. |
Niveau fort
Les choses se compliquent un peu lorsqu'on considère des territoires où plusieurs coups consécutifs sont possibles.