Le dimanche 7 avril, une nouvelle initiative dans le monde du go a été lancée. Interview de Camille Lévêque au sujet de la World WomenTeam Conquest.
Cet article est une traduction de l’interview réalisé par Ian Davis pour l’EGF https://eurogofed.org/index.html?id=248
Q) Ce dimanche a eu lieu le premier match de la World WomenTeam Conquest (WWTC). Pouvez-vous nous en dire un peu sur les origines de cet événement, qui a imaginé le concept ?
A) Lors du lancement du dernier Championnat de France Féminin 2018, quelques joueuses se sont questionnées sur la meilleure manière de promouvoir le go auprès des femmes, et nous n’étions pas persuadées de l’efficacité d’un championnat une fois par an pour cela. Nous avons donc créé un groupe de discussion ouvert sur facebook pour échanger sur la question, avec toutes les personnes intéressées.
Plusieurs idées ont ainsi germé, dont celle de mettre en avant des joueuses de tout niveau pour inspirer et motiver les futures joueuses ou celles n’osant pas trop s’impliquer dans les évènements nationaux.
Un précédent contact avec la commission féminine de l’Association Argentine de Go, m’a montré que d’autres nations étaient prêtes à passer un cap vers plus de mixité. Je leur ai donc proposé de participer à cet événement, ce qu’elles ont accepté avec beaucoup d’énergie !
L’idée générale est de proposer des équipes équilibrées de 5 à 10 joueuses, (la France a donc aligné une équipe de niveau équivalent) sur un événement d’exhibition, retransmis et commenté sur Twitch.
Le WWTC a un double objectif : mettre en avant les joueuses, et faire connaître les différentes fédérations/associations de go ainsi que leurs actions pour la mixité.
Q) Vous avez choisi un titre un peu curieux pour votre événement: World WomenTeam Conquest. Cela signifie-t-il vraiment que vous espérez conquérir le monde (avec le go)?
A) Nous avons choisi le nom avec toutes les joueuses française, et nous voulions surtout en faire un événement amusant, bien sûr que nous voulons conquérir le monde par le go ! Who run the world ? Go girls !
Q) L’Argentine et la France ont été les deux premiers pays à jouer. Qui sont les prochains à vous rejoindre ?
A) La première édition contre l’Argentine a été un très beau moment de partage et d’amitié, avec de plus un résultat de 3-3 ! Depuis l’annonce de l’événement, d’autres nations m’ont contacté, et c’est donc avec plaisir que j’organiserai d’autres éditions, la prochaine étant probablement France vs Roumanie avec des joueuses très prometteuses et de haut niveau !
Q) Mais pour revenir à une question précédente, c’est étonnant, n’est-ce pas? Au lieu d’essayer de détruire l’autre côté, comme dans le PGETC, vous proposez des matchs à niveaux égaux. Une telle idée peut-elle vraiment faire son chemin?
A) En effet, la question s’est posée de faire jouer nos meilleures joueuses, quitte à écraser des nations qui n’ont pas la chance d’avoir (pour l’instant !) de tels niveaux de jeu… Mais pourquoi faire ? Les tournois internationaux existent déjà et sont de très beaux rendez-vous de sport. J’ai plutôt cherché à promouvoir un go « pour tous » et qui puisse faire envie à toutes les joueuses. Il s’agit d’un match d’exhibition, comme peuvent l’être certaines rencontres professionnelles, le résultat sportif n’en est pas l’essence. Ainsi, nous pouvons proposer des parties intéressantes à regarder et commenter, parce qu’une joueuse n’en écrase pas une autre en 30 coups !
Le go n’a pas la même histoire dans tous les pays hors japon-chine-corée, le WWTC espère promouvoir des nations plus « jeunes » par exemple. A l’inverse, l’édition contre la Roumanie rassemblera les meilleures joueuses des deux nations, car le développement du go a été plus similaire avec la France.
Les matchs ont été commentés en direct sur Twitch par Ariane Ougier (4-dan).
Q) Comme beaucoup d’événements récemment, votre événement a été commenté en direct sur Twitch. Pensez-vous que ce média a un réel potentiel pour élargir l’audience de Go au-delà de son cercle, ou s’agit-il d’un cas où le cercle s’agrandit et investit les médias disponibles ?
A) Je n’ai pas l’habitude de twitcher, mais vu la vocation internationale du WWTC, le média a semblé tout naturel. Nous avons de plus la chance d’avoir une commentatrice de talent (Ariane Ougier 4D) pour présenter en anglais les parties, ce qui potentiellement peut intéresser d’autres nations que celles qui jouent.
La réussite des précédentes retransmissions par l’EGF ou d’autres streamer (en particulier en France Christopher Annachachibi alias HisokaH de Fulgurogo) me fait penser que Twitch a de l’avenir pour créer des synergies au sein des différentes communautés de go autour du monde.
Q) Quel événement a été le plus populaire, le Transatlantic Pro Challenge ou le vôtre?
A) Hehe, malheureusement une erreur de ma part (changement d’heure en France) a légèrement superposé les deux évènements, et je m’en excuse auprès des joueuses ! Je ferais plus attention lors des suivants, ça ne nous a pas empêchées d’être à 100% derrière Mateusz !
Q) Qui sont vos modèles féminins à l’intérieur et à l’extérieur du go ?
A) Plutôt une jeunette dans le monde du go, je ne connais pas bien les figures féminines. En terme de jeu, j’apprécie beaucoup Rina Fujisawa et Ueno Asami mais j’avoue ne pas connaître beaucoup de grandes joueuses professionnelles. J’ai été agréablement surprise de voir que lorsque j’ai ouvert un think tank sur le go féminin, plusieurs joueuses professionnelles se sont manifestées en soutien !
En France, Astrid Gaultier sans aucune hésitation, mais également Ariane Ougier, première française à atteindre le niveau 4D, j’espère qu’elle ira encore plus haut ! (Mais j’espère la battre un jour quand même).
En dehors du go, la figure incroyable de Marie Marvingt, aventurière, inventrice et première femme dans de nombreux domaines, m’inspire beaucoup.
Q) J’ai déjà vu écrit que des épreuves exclusivement féminines, bien que plus attrayantes pour les compétitrices, finissent par limiter la progression des joueuses à cause du nombre limité de participants. Pensez-vous qu’il y a une vérité dans cela?
A) C’est une question complexe. Vu le peu de compétitions féminines, je ne pense pas qu’elles puissent impacter d’une quelconque manière le niveau des joueuses. Cependant, c’est d’ailleurs ce qui nous a questionné et a permis l’émergence du WWTC, le besoin de compétitions féminines dans le domaine des sports de l’esprit est questionnable.
Nous n’avons théoriquement pas de différences « physiques » nous empêchant de concourir au même niveau que les hommes. Il faut en fait tenir compte du taux historiquement bas de femmes jouant aux échecs/au go… Nous avons globalement conclu qu’un championnat féminin national était certes pas idéal, mais une étape peut être nécessaire pour ne plus, à l’avenir, avoir à se poser ce genre de questions.
Pour ma part, j’ai donc décidé de participer aux championnats mixtes et féminins, tout comme ceux de pairgo, chacun essayant, avec toutes ses imperfections, d’encourager un go féminin. Il y a un énorme travail de fond à fournir pour parvenir à des améliorations notables, dont les plus faciles seraient probablement de porter une attention particulière à l’accueil des nouvelles arrivantes dans les clubs de go.
Mais surtout, il faut créer des espaces pour échanger et imaginer ensemble ce que pourrait être un go plus mixte et ouvert à tous les profils de joueurs.
Q) Verrons-nous aussi des compétitions de pair-go dans le cadre de cette promotion?
A) Un des objectifs du pairgo est, il me semble, la promotion du go féminin. Comme pour toutes les initiatives, elle n’est pas parfaite, mais participe probablement à un certain soutien du go féminin.
En « saison » de pairgo, les joueurs se mettent en quête d’une joueuse, ce qui est parfois difficile, mais aide souvent (si la féminine est moins forte sur le goban,) la paire a progresser et affronter des adversaires parfois d’un niveau bien plus fort !
Le pairgo a déjà une notoriété importante, nous n’avons pas beaucoup à nous inquiéter de son succès sur le long terme. En terme purement sportif, il me semble que le pair go a un réel intérêt car il faut bien plus qu’une paire de haut niveau pour gagner, une vraie complicité dans le jeu est nécessaire et joue beaucoup plus.