Récemment je me suis penché sur l’histoire du jeu de go et sur certains de ses protagonistes. Si le nom du fondateur de l’école Honinbo ne m’était pas inconnu, j’ai découvert beaucoup de choses à son sujet que j’ai décidé de partager ici.
D’une part, je n’avais pas conscience de tout ce qu’il a fondé dans le monde du go, mais surtout j’ignorais à quel point son histoire était liée à celle du Japon.
Voici donc l’histoire de celui qui régna en maître sur le go et le shogi !
Honinbo Sansa
Nikkaï, le premier Meijin
Kano Yosaburo est né en 1559 à Kyoto et devient à neuf ans moine de la secte Nichiren, nom donné par certains détracteur à cette branche du bouddhisme, le Nichiren Shōshū. Il y prendra le nom de dharma de Nikkaï.
Repéré comme étant fort au go, Oda Nobunaga en fera son professeur. Ce puisant Daimyo est avec Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieatsu l’un des trois unificateurs du Japon.
Oda Nobunoga
Tout trois féru de go, leur niveau était estimé à 4 dan et Nikkaï était en mesure de leur donner 5 pierres d’avance. Nikkaï était alors âgé de 20 ans et Oda Nobunoga le qualifie en 1578 de Meijin (homme brillant).
L’indicent du Honnō-ji
Le 21 juin 1582, alors au sommet de sa puissance, Oda Nobunoga sera trahi par un de ses généraux : Mitshuhide Akeshi. Cet évènement est connu comme l’incident du Honnō-Ji.
Nobunoga assistait alors à une partie entre le Meijin et Rigen Kashio, son rival (moine lui aussi). Au cours de cette partie fut joué un triple-kô, une forme inhabituelle qui poussa les joueurs à vouloir annuler la partie.
Le triple ko du Honnō-Ji dans le manga Hikaru no Go
(dessin : Takeshi Obata)
Juste avant que Mitsuhide ne s’empare du temple, Nobunoga demande à un serviteur de mettre feu au temple (pour ne pas que l’on puisse saisir sa tête) avant de se suicider par seppuku. Mitsuhide mourra assassiné 13 jours plus tard.
Depuis ce jour le triple-kô est considéré comme un signe de mauvais présage.
Honinbo Sansa : go-dokoro et shogi-dokoro
Celui qui mit fin au bref règne de Mitsuhide n’était autre que le commandant en second de Nabunoga : Toyotomi Hideyoshi. Passionné lui aussi de go, il met en place en 1588 le premier tournoi national et le premier système de classement des joueurs.
C’est Nikkaï qui le remporte et Hideyoshi décide de lui attribuer un salaire et ordonne que tous ses futurs adversaires joueront désormais avec noir contre lui. Nikkaï prend alors le surnom de Honinbo Sansa, en référence au temple Honinbo où il vivait. Quand à Sansa, son nom serait tiré de calculer(算) et sable (砂).
Toyotomi Hideyoshi
Le successeur de Hideyoshi n’est autre que Takugawa Ieatsu. Il rétablit en 1603 le shogunat, poste que ses descendants occuperont jusqu’en 1867 lors que le XVe et dernier shogun du shoguna Tokugawa (Tokugawa Yoshinobu) abdiquera et rendra les pleins pouvoir à l’empereur.
Ieatsu déplace la capitale de Kyoto à Edo (l’actuelle Tokyo) et engage de vastes réformes dans l’administration. Il place également le go au cœur de sa politique et crée la première académie dont il confie la direction à Sansa.
Tokugawa Ieatsu
Sansa se voit également nommé go-dokoro : il devient en quelque sorte ministre du go, chargé du système de classement, de l’organisation des rencontres et de régler les conflits. Il est également le professeur du Shogun et doit avoir son autorisation pour disputer la moindre partie.
Fort joueur de shogi (jeu descendant avec les échecs et le xiang qi du chaturanga), il sera également le premier Meijin Shogi-dokoro !
Honinbo, Inoue, Yashui et Hayashi
En 1612 l’académie de go mise en place Ieatsu se sépara en quatre écoles de go, véritables dojo où vivaient et étudiant les joueurs. Elles furent dirigées par les anciens professeurs de l’académie : Honinbo Sansa, Nakamura Doseki (fondera la maison Inoue et sera le 2e go-dokoro), Yasui Sanchi et Hayashi Monnyū.
On peut également considérer ces « maisons » comme des familles, mais donc la succession n’était pas héréditaire : dans le cas des Honinbo, la tradition voulait que sont chef soit moine et ne pouvait avoir d’enfant. La plupart adoptaient leur disciple le plus fort, parfois même à titre posthume comme ce fut le cas pour Shusaku Honinbo.
Honinbo Shusaku (l’invincible), l’un des trois « saint du go » (Kisei)
Ces écoles s’affronteront dans des parties pouvant durer des jours (les limites de temps n’ayant pas encore été fixées), en particulier dans les « parties du palais » jouées en présence du Shogun ; ou, plus exactement, reproduites à vitesse plus élevée devant ce dernier.
Elles lutteront également pour les titres de Meijin et go-dokoro après la mort de Honinbo Sansa le 13 juin 1623. Mais la tâche était ardue car le système de classement ne permit qu’à 10 joueurs de devenir Meijin :
- Honinbo Sansa (1559 – 1623)
- Inoue Nakamura Doseki (1623-1630)
- Yasui Sanchi (1668 – 1676)
- Honinbo Dosaku (1677 – 1702)
- Inoue Dosetsu Inseki (1708 – 1719)
- Honinbo Dochi (1721 – 1727)
- Honinbo Satsugen (1767 – 1788)
- Honinbo Jowa (1831 – 1839)
- Honinbo Shuei (1906 – 1907) [il sera également à la tête de Hayashi]
- Honinbo Shusai (1914 – 1940)
Sansa ayant décrété que le go-doroko devait être Meijin, il n’y en eu que 8 (la fonction ayant supprimée par l’empereur en 1868). On notera également le nombre important de Honinbo dans la liste : c’est l’une des raisons de la célébrité de l’école.
Deux d’entre eux, Dosaku et Jowa seront également (avec Shusaku) considérés comme Kisei, (saint du go).
L’héritage de Nikkaï
Les quatre derniers Honinbo vont jouer un rôle crucial dans la transition vers l’organisation actuelle du go au Japon. Le premier est Honinbo Shugen qui cède en 1884 son trône au chef de l’école Hayashi : Honinbo Shuei.
Avant cela, en 1879, un disciple claque la porte de l’école : Murase Shuho. Il fonde alors la Hoensha, l’organisation qui deviendra plus tard la Nihon Ki-in (l’actuelle fédération japonaise). C’est au sein de cette association que l’allemand Oskar Korschelt (probablement le premier joueur européen) apprendra à jouer, de même que Tamura Yasunaga … futur Honinbo Shusai
Shuho deviendra cependant Honinbo lorsque Shuei lui cède le titre en 1886. Malheureusement il meurt la même année : Shuei redevient alors Honinbo, devenant le premier à recevoir deux fois le titre. A sa mort en 1907, Shugen sera le second à recevoir cet honneur.
C’est lui qui désigne Shusai, alors Meijin, comme son successeur (bien que ce dernier était à la tête de la rivalité Honinbo-Hoensha).
Kitani Minoru (à gauche) contre Honinbo Shusai (à droite)
lors du tournois d’adieu du Meijin
Les titres de Honinbo et Meijin furent cédés à la Nihon Ki-in à l’issue d’un tournoi d’adieu l’opposant à Kitani Minoru. Son précédent match l’avait opposé à Go Seigen, ami et rival de Kitani Minoru qui révolutionna avec lui la théorie du jeu.
La partie entre Shusai et Kitani est racontée par Yasunari Kawabata dans le livre « le maître ou le tournois de go » (titre original : « Meijin »).
Prix Nobel de littérature en 1968, celui qui donnera son surnom à la Yugen no ma (chambre du profond mystère) était alors journaliste chargé de rapporter la partie.
Iyama Yuta, 26e Honinbo et les 7 couronnes
Honinbo, Meijin et Kisei sont aujourd’hui les noms des trois principaux tournois professionnel du Japon, tant par dotation que par leur important symbolique. Honinbo est le plus ancien.
Le titre de Honinbo honoraire est décerné aux joueurs ayant gagné cinq fois consécutives le tournoi. Cinq joueurs ont aujourd’hui réussi cet exploi (Takagawa Kaku, Sakata Eio, Ishida Yoshio, Cho Chikun et Iyama Yuta). Ils sont respectivement considérés comme les 22e, 23e, 24e, 25e et 26e Honinbo.
Cho Chikun a été, entre autre record (nombre de titre, plus jeune vainqueur de tournois, …) le premier à avoir détenu les 7 titres majeurs du Japon.
Iyama Yuta, non content d’avoir obtenu le Meijin à 19 ans (plus jeune que Cho Chikun) et d’avoir été le 2e à détenir tous les « 7 couronnes » en même temps.
Depuis avril 2016 il est le premier à détenir les 7 titres simultanément ! Clin d’œil à l’histoire, sa compagne est une joueuse professionnelle de Shogi !
Bibliographie
Le GO aux sources de l’avenir (Pascal REYSSET, 3e édition)
GO ! More than a game (Peter Shotwell)
The Meijin’s retirement game (John Fairbairn)
Wikipedia